Halford John Mackinder: Pilier de la géopolitique occidentale

En 1904, Halford John Mackinder, un des fondateurs de la London School of Economics, présente à la Royal Geographical Society un article sur ce qu’il appelle le « pivot géographique de l’histoire ». Ce moment est souvent considéré comme le début de la géopolitique comme discipline et sujet d’étude en occident. Les concepts qu’il a définis ont créé un nouveau paradigme stratégique et influencé la pensée politique d’un grand nombre de personnes et d’institutions.

Mackinder ne publiera toutefois pas ces idées dans une œuvre pour le grand public avant 1919. Avec l’intention manifeste de mettre à profit les leçons tirées de la Première Guerre mondiale qui vient de se terminer pour reconstruire l’Angleterre et les institutions internationales, Idéaux Démocratiques et Réalité présente des concepts géopolitiques et y ajoute la réflexion sur le concept de Man-Power et la productivité qu’il avait publiée en 1905 dans un article pour le magazine National Review.

Le livre couvre successivement le concept de momentum social, lié à la productivité d’une économie, un tour d’horizon des caractéristiques du globe aboutissant à la définition des concepts de Heartland et World-Island ainsi que leurs implications pour les intérêts stratégiques des pays et finalement, dans ce qui m’est apparu comme étant bizarrement très peu souligné, une réflexion sur les bases saines du développement économique et social liant le développement régional à l’équilibre international.

Pour ceux qui ont été familiarisés avec les concepts de Mackinder à travers des analyses géopolitiques ou militaires, la partie du livre anticipée est probablement celle décrivant le globe et son découpage géo-stratégique. Ceci est abordé en présentant la planète selon deux points de vue. Celui de la mer qui nous amène à considérer toutes les mers et les océans comme un seul et celui de la terre vu à partir du coeur de l’Eurasie, le Heartland. Pour chacun de ceux-ci, l’auteur illustre quels principes s’appliquent de l’échelle régionale au niveau mondial.

Ces principes nous sont expliqués par le détail des invasions ou défenses par différents groupes pour les territoires et les voies de communication. Le contrôle sur ces derniers permettant une plus grande productivité, ils sont la condition sine qua non pour qu’un empire puisse voire le jour.

Plusieurs lignes sont passées à relater comment la géographie a affecté les mouvements des armées lors de guerres et d’affrontements terrestres ou encore comment la supériorité technique ou stratégique a décidé de guerres navales. Les principes s’appliquant à toutes les échelles, on passe de la vallée du Nil, à la mer d’Égée et de Crête, à la Méditerranée de l’empire Romain, au contournement du cap formé par l’Afrique pour terminer avec la planète entière.

La théorie du professeur d’Oxford modélise la planète en grands ensembles. Un océan en couvrant neuf douzièmes, un super-continent couvrant deux douzièmes, puis les Amériques et le reste des îles de la planète se partageant un douzième.

Du point de vue de la navigation, la planète n’est donc qu’un énorme océan peuplé d’îles plus ou moins grandes. Une puissance de la mer se déploie à partir d’une base assez grosse pour assurer la subsistance de sa flotte de navires. La plus grande île, et possiblement la plus productive, est le supercontinent formé par l’Eurasie et l’Afrique. C’est ce que Mackinder appelle World-Island, ou Île-Monde, parce qu’elle a de loin la plus grande superficie de tous les continents et abrite donc le plus de ressources et regroupe le plus grand nombre d’habitants.

Une puissance de la terre en croissance ne sera freinée que par des obstacles physiques comme une chaîne de montagnes, la mer ou la rencontre d’une puissance similaire. Le Heartland, qu’on pourrait traduire par le cœur du continent, est la partie de l’Eurasie qui n’est pas atteignable à partir de la mer. C’est le plus grand territoire disponible pour une puissance de la terre. Sa contrepartie, le Rimland ou monde périphérique, est constitué des terres exposées aux puissances de la mer.

Carte délimitant le Heartland (en rouge) et le Rimland (en bleu).

Le territoire d’où proviennent des factions qui s’affrontent militairement ou économiquement et le développement de leurs technologies de transport déterminera leur capacité à projeter leur puissance sur la terre ou sur la mer. Cette capacité ou son absence, en viennent à délimiter l’accès aux différentes parties du globe. Quand des nations entrent en conflit, leur type de puissance détermine quels seront leurs avantages et leurs possibilités.

L’analyse de Mackinder a été critiquée car elle passerait trop facilement des caractéristiques physiques à la stratégie politique, ce qui en ferait une sorte de déterminisme géographique. Étant du début du XXe siècle, on peut voir comment l’aviation moderne peut mitiger ou carrément faire disparaître certaines de ces contraintes perçues mais comme le transport aérien de personnes ou de marchandises reste beaucoup plus dispendieux que les moyens traditionnels et que ces derniers sont donc toujours très importants, son analyse demeure un point de référence actuel. On n’a qu’à penser à l’importance déclarée pour les États-Unis d’empêcher une dominance russe en Europe de l’Est.

Mais comme je l’ai dit plus haut, l’aspect m’ayant surpris est la pensée économique étayée durant les premiers et derniers chapitres et dont je n’avais jamais entendu parler. La première du livre se consacre à l’explication du concept de momentum social qui est la chorégraphie à laquelle se livre la population au quotidien lorsque les travailleurs interagissent, tous dépendants des actions des uns et des autres. La régularité des actions des personnes en société permet un échafaudage d’interactions plus complexes et productives que si tous agissaient indépendamment. C’est cette chorégraphie qui assure à une économie sa productivité et cette dernière est donc plus importante que sa richesse accumulée.

Après avoir décrit les points de vue de la mer et de la terre, l’auteur aborde plus directement le thème de la reconstruction de l’occident après la guerre. C’est dans cette optique qu’il utilisera les concepts liés au momentum social pour décrire les évènements ayant mené à la Guerre. Les économies des pays de l’Europe étant des Going Concerns à la même soif de marchés et ayant leur inertie propre, leur liberté respective viendrait donc d’un équilibre où aucune d’entre elles ne l’emporte sur les autres. En particulier, ni l’Allemagne ni la Russie ne doivent être en mesure de contrôler les pays slaves de l’Europe de l’Est. Une telle conquête leur permettrait ainsi de dominer le Heartland, pour prendre l’Île-monde comme base navale et établir une supériorité mondiale dangereuse pour tous.

C’est à ce point-ci qu’à peu près tout ce que j’avais entendu sur cette théorie s’arrêtait. Un nouveau paradigme pour comprendre le monde mais très axé sur une dynamique de conquête, surtout lorsque vu à travers le prisme de la guerre froide, Brezinsky, etc. Je n’avais toutefois pas vu venir l’aboutissement de la pensée de l’auteur. Le texte poursuit pour adresser les principes qui sont à l’origine de la guerre 1914-1918 et cette partie, que je n’ai vue citée nulle part même pour y faire allusion, ouvre sur une pensée économique et sociale qui m’a surpris, reprenant la valeur du travail d’Adam Smith en la spatialisant.

Parce qu’il considère la stabilité et l’indépendance des pays d’Europe de l’Est comme étant primordial, Mackinder affirme que le commerce devrait être régulé de manière à ce que les pays puissent avoir une part équitable des activités économiques les plus favorables ou à haute valeur ajoutée comme on le dirait aujourd’hui. Il met aussi en garde contre le potentiel de déstabilisation d’une industrie nationale qui aurait besoin de marchés mondiaux et irait donc vampiriser ses voisins. Il affirme même que « plus aucun pays important, après cette guerre, ne permettra d’être privé de toute industrie essentielle. »

Cette vision de la stabilité nécessaire en Europe est complètement à l’opposé de l’économique actuelle où on prône plutôt la maximisation des parts de marché et donc le libre-marché par-dessus d’autres considérations. Ici, la stabilité repose sur développement national des pays stratégiques plus que sur la défense collective, et ce, pour pouvoir avoir une Ligue des Nations. Les traités européens contiennent des mesures pour intégrer économiquement les pays dont l’économie est moins puissante par des investissements mais l’idée d’empêcher la pénétration d’une économie par une autre comme proposé dans le livre est contraire aux théories économiques actuelles en occident.

Mais Mackinder ne s’arrête pas là. Il poursuit, dans ce qui est l’ultime chapitre, à approfondir la notion de développement national équilibré qui serait la base nécessaire pour la création de la Ligue des Nations. Or, l’équilibre du développement économique entre voisins est non seulement dépendant de facteurs externes mais aussi de facteurs internes aux pays. La politique intérieure d’un pays aura un effet sur sa politique extérieure. Ceci peut sembler anodin, mais cache des implications plus profondes.

Comme les nations sont des sociétés locales, leur organisation doit, pour être pérenne, être basée sur les communautés composant cette société et non sur des intérêts de classe nationaux. La constitution d’intérêts de classe nationaux mènerait inévitablement à ce que ces classes se rassemblent avec leurs équivalents dans les pays voisins, ce qui entraînerait finalement le clivage horizontal de la société internationale, exactement ce qui serait à éviter pour obtenir la stabilité tant désirée en Europe de l’Est.

À ce moment, on est dans une organisation de la société qui est complètement opposée à ce que nous vivons. Mais Mackinder poursuit sa pensée au niveau régional. La dynamique qui s’applique entre les pays est aussi présente à plus petite échelle. La vie des communautés locales devrait donc être aussi complète et équilibrée que possible. Le modèle où une métropole concentre le pouvoir décisionnel et où se trouvent donc les emplois plus prestigieux et les mieux rémunérés conduira inévitablement à une société divisée en classes et en intérêts.

Même en prenant le problème de l’autre côté, non pas du point de vue de la stabilité des nations mais des désirs et besoins des personnes, on en arrive au même besoin de pouvoir vivre une vie complète. La même égalité d’opportunité de développement des nations doit être accordée aux différentes régions d’un pays et il ne pourrait pas y avoir une réelle égalité sans contrôle sur ses propres leviers de pouvoir et sans avoir la possibilité de passer de la pensée à l’action.

Même si c’est un processus plutôt lent, la centralisation aurait donc l’effet négatif de vider les régions d’une partie de leur vitalité. Elle priverait également les personnes qui, même si elles n’aspirent pas à de grandes responsabilités, auraient aimé ne serait-ce que voir et côtoyer les preneurs de décisions. Les exemples de cité-états comme Florence ou Athènes sont donnés pour illustrer comment avoir le contrôle sur ce qui se passe dans leur localité enrichit la vie de ces villes, leur permettant d’offrir des possibilités de s’accomplir dans toutes les sphères de l’existence.

C’est cette organisation de la société par les communautés régionales qui permettrait aux nations de prévenir la division en classes et intérêts qui iraient s’allier à ceux des nations avoisinantes et créer des déséquilibres économiques. Une communauté dans laquelle les personnes occupant des postes de responsabilité, commerçants et magistrats sont allés aux mêmes écoles que les autres personnes de leur communauté ne favorisera pas la stratification de la société en classe. La possession des pouvoirs nécessaires à son organisation permet aussi la véritable liberté : la possibilité pour les hommes de vivre une vie complète dans leur propre localité.

Cette manière de considérer la vie en communauté adresse directement des problèmes que nous vivons actuellement tels l’exode rural, moyen de sortir d’une existence amputée d’une partie de son sens ; la perte de solidarité sociale entre groupes de personnes socialement et physiquement séparées ; la productivité amoindrie d’une région n’ayant pas les pouvoirs nécessaires pour s’organiser et dépendante d’une administration centrale distante et désintéressée. Pour moi, il y a beaucoup de parallèles pouvant être établis entre cette vision des choses et des avenues pour remédier certains des problèmes qui nous affectent.

La vision de Mackinder ne se cantonne pas à une doctrine libre-échangiste ou protectionniste. Les échanges entre ensembles économiques sont naturels et malgré une volonté manifeste de rassembler toutes les sphères de l’activité humaine dans une localité, les impératifs de systèmes ayant besoin d’une large base pour être fonctionnels, comme les assurances par exemple, doivent tout de même être respectés. Mais selon lui les localités devraient assumer les responsabilités d’organisation et décision dans la plupart des domaines pour pouvoir être des écosystèmes complets et équilibrés, menant à une nation complète et équilibrée.

Nul besoin de le mentionner, cette approche est à l’opposé des pratiques actuelles dans le commerce international, où la clause de la nation la plus favorisée est souvent présente. La notion de droit national au développement économique et à la spécialisation est peu répandue. Mais il demeure très intéressant de constater que Mackinder considère comme essentiel le développement national comme gage de stabilité régionale. L’approche à favoriser pour les pays de l’Europe de l’Est ne serait-elle pas aussi celle à favoriser pour les autres pays ?

Les parties du livre traitant de la liberté des nations et des peuples ne sont pas particulièrement surprenantes dans un ouvrage dédié à la reconstruction d’après-guerre en Europe. La Ligue des Nations, plusieurs fois évoquée dans le texte et qui verra le jour l’année suivante en 1920, reste au centre des préoccupations. Par contre, force est de constater que les recommandations de Mackinder concernant l’organisation politique et économique des pays n’a pas fait école, ce qui est surprenant compte tenu de l’omniprésence de sa pensée dans le domaine géopolitique occidental.

Cet ouvrage demeure selon moi absolument incontournable pour quiconque veut connaître la genèse de la pensée géopolitique occidentale. On explique ici pourquoi certains endroits stratégiques de la planète le sont, en se basant sur les caractéristiques physiologiques des lieux, sans lesquelles il est difficile de comprendre d’où viennent certains impératifs dans les domaines de la sécurité ou de l’économie. Les parties sur les points de vue de la terre et de la mer valent à elles seules la lecture de cet ouvrage. Mais la pensée développée en vue de la stabilité des pays de l’Europe de l’Est est une surprise qui pose énormément de questions sur l’organisation actuelle du commerce et de la sécurité entre pays.

Étonnamment, je n’ai pas pu trouver cet ouvrage en français, chose que je trouve bizarre étant donné la quantité de références faites à Mackinder et sa théorie au fil des années. Mais comme mentionné plus haut, je recommande fortement cette lecture qui pourra vous aider non seulement à mieux décoder l’actualité internationale, mais aussi à mieux comprendre ce qu’est qu’une économie nationale ou un Going Concern comme défini dans le texte. Parfois, la pensée de l’auteur révèle une vision des choses étant clairement influencée par l’époque mais la force principale du propos réside dans sa pertinence, qui demeure intacte plus de cent ans plus tard.


MACKINDER, Halford John. 1919. Democratic Ideals and Reality: A Study in the Politics of Reconstruction, Forgotten Books, 266 pages.

La loi 21 et le modèle d’autorité québécois

Lorsqu’on écoute les débats sur la loi 21, lorsqu’on lit des articles écrits à ce sujet, une chose me frappe. Bien que la loi mentionne spécifiquement les fonctionnaires en position d’autorité, on passe très vite sur le concept d’autorité. Pour moi c’est surprenant, car je crois que ce concept est au coeur du conflit. À la base, le Québec et le reste du Canada n’en ont pas le même modèle.

Le modèle d’autorité opérant au Québec, la conception même de ce qu’elle doit être et à quoi s’attendre d’elle, vient du modèle qui prévalait en Europe continentale. C’est un modèle où l’autorité dite temporelle, le Roi, devait composer avec l’autorité spirituelle du Pape (qui collecte aussi un impôt, bat sa propre monnaie et lève sa propre armée, les trois pouvoirs régaliens).

Comme le Roi doit composer avec un contre-pouvoir extérieur, une relation se crée entre lui et son peuple. Il lui est redevable et est normé par un élément terrestre (non divin) extérieur. Il doit parfois faire des concessions, être juste avec lui et faire prospérer son royaume. Des considérations stratégiques réelles sont liées à cet équilibre. Si le souverain n’est pas aimé, cela peut ouvrir la porte à un renversement facilité pour le Pape et un potentiel allié. Ce modèle de contre-pouvoir a prévalu dans la plupart des pays européens et est peut-être le véritable ciment de l’Europe, s’il en est un.

Le modèle d’autorité anglo-saxon et sa conception de la justice naîtront des mêmes pouvoirs temporel et spirituel mais l’histoire n’y est pas la même. En 1534, Henri VIII, après le refus du pape Clément VII d’annuler son mariage dans la poursuite d’un héritier (entre autres), obtient du clergé d’Angleterre la reconnaissance comme chef suprême de l’Église.

À partir de cette date, la notion de contre-pouvoir disparaît en Angleterre. Se considérant désignée par Dieu lui-même pour régner et n’ayant aucun contrôle terrestre, l’autorité anglo-saxonne opère dans un mode de domination de ses sujets. Elle n’est pas sujette aux désirs ou même aux besoins de la population.

La notion de justice en Angleterre est, dès ses débuts, strictement une affaire de classes privilégiées, et les droits individuels n’auront donc pas à y évoluer dans une logique de cohabitation avec les autres et de facilitation de la vie sociale mais plutôt comme une bulle d’invincibilité offerte aux plus puissants contre les abus du roi: premièrement le clergé et les barons, ensuite les marchands et après Cromwell, l’élite financière.

C’est ce modèle d’autorité qui est opérant au Canada et qui domine dans le monde occidental. Et cela est évident lorsqu’on examine les réactions à la loi 21.

Comme au Québec notre modèle entend qu’une saine autorité s’adapte à ceux qui sont sous son pouvoir, il est normal pour nous de voir l’autorité se plier à certaines règles. De plus, comme les droits individuels au Québec se conjuguent au droits collectifs nécessaires au bon fonctionnement de la société, ils ne sont pas absolus.

Pour prendre un exemple imagé… Les droits de la personne au Québec couvrent son intégrité. On ne peut pas y attenter en blessant physiquement, en harcelant, etc. On n’a pas le droit non plus de déféquer sur personne. Une poursuite pourrait être intentée. Sauf si c’est votre enfant. Qui vous gicle un spray brun à l’estomac. Parce que même si vous avez le droit de ne pas vous faire déféquer dessus, tout le monde sait que vous perdez ce droit lorsque vous devenez parent.

Parce que les parents sont l’autorité. Et une bonne autorité fait ce qu’elle a à faire pour les personnes de qui elle s’occupe. Les personnes qui n’acceptent pas cet ordre des choses ne devraient pas devenir parents.

Ainsi, dans une cour de justice avec la loi 21, ce n’est pas que le juge est spolié de sa « bulle d’invincibilité des droits universels ». C’est que comme le juge dans cette salle est en position d’autorité, il pause momentanément ses droits pour permettre au droit à la laïcité des parties de s’appliquer. Comme le ferait un parent qui change son enfant. C’est le choix qu’on fait lorsqu’on devient juge et les personnes qui ne peuvent pas accepter cet ordre des choses ne devraient pas le devenir.

C’est aussi le choix qu’on fait lorsqu’on devient policier. En enfilant l’uniforme, on accepte de faire passer le besoin de confiance et de facilité d’identification dans une intervention devant son expression personnelle.

En devenant professeur, on utilise sa propre opinion, ses propres idées, ses propres convictions, sa propre expression personnelle pour susciter le développement de celles de l’enfant et lui offrir toute la place dont il a besoin pour les construire.

Ces positions nécessitent de l’abnégation.

Et c’est précisément cette abnégation qui est incompatible avec les conceptions anglo-saxonnes d’autorité mais aussi de justice. Les droits y ayant été développés strictement dans une logique protégeant les intérêts personnels des plus puissants, ils ne sont donc pas orientés vers un bon fonctionnement social et il n’y existe aucun droit collectif.

Non seulement ce n’est pas le nôtre, mais ce modèle d’autorité est malsain.

Et c’est ce que j’aimerais que les opposants à la loi 21, comme les personnes à la tête de la FAE, voient.

La raison derrière l’appui de la majorité des québécois à la loi 21 est que nous considérons qu’exercer un rôle d’autorité implique l’abnégation de certains droits et que le bien-être des individus est en relation avec le bien-être de leur groupe. Nous ne sommes pas des tigres du Bengale. Aucun humain ne survit à l’extérieur du groupe.

Lorsque j’écoute les arguments contre la loi sur la laïcité, jamais on ne mentionne dans les arguments une interaction quelconque avec les autres personne présentes. Aucune allusion aux parties pour le juge, à l’intimé pour le policier ou aux enfants pour les enseignants. Cette conception de la personne humaine, dans le néant, n’est pas possible dans la réalité et peut en fait être dangereuse pour la société en l’amenant à négliger un équilibre entre l’individu et le groupe qui est nécessaire à sa santé.

Qu’est-ce qui arrive avec la charte des droits québécoise dans tout ça? La charte, comme tout ce qui a été fait par les humains, n’est pas parfaite. Nous devons la mettre à jour pour y intégrer les droits collectifs.